Nuevos textos en el derecho penal francés en el área del acoso moral y sexual: represión de una forma de delito cometida por acto mimético
New texts on French criminal law in the area of moral and sexual harassment: repression of a type of crime committed by mimetic act

Keywords: Moral harassment, sexual harassment, harassment committed by several individuals, coercion, mimesis, mimetic act
Palabras claves: Acoso moral, acoso sexual, acoso cometido por varias personas, coacción, mimesis, acto mimético.
Mots clefs: Harcèlement moral, harcèlement sexuel, harcèlement commis à plusieurs, coaction, mimésis, agir mimétique
Fecha de recepción: 29 de noviembre de 2018
Fecha de revisión: 14 de febrero de 2019
Fecha de aprobación: 21 de febrero de 2019
Yoanna Sifakis
Docteur en droit privé, sciences criminelles et philosophie du droit, Centre de Philosophie du droit et Institut de sciences criminelles et de la justice de l’Université de Bordeaux yoanna.sifakis@u-bordeaux.fr
France
Si le fait social de harcèlement n’est pas nouveau, on le constate de plus en plus sur la toile, au travers des réseaux sociaux, concernant en particulier les élèves, mais également les femmes. La lutte contre le cyber-harcèlement est finalement assez récente mais elle n’est pas terminée. C’est pourquoi les infractions de harcèlement en droit pénal français ont été repensées en début d’année 2018.
Le 21 mars, est présenté au Conseil des ministres un projet de loi, proposant de créer des infractions autonomes de harcèlement sexuel et de harcèlement moral commis par plusieurs individus. Ce projet fait suite au rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en date du 16 novembre 2017 intitulé « En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes ». Le document invitait à adopter une loi afin de punir le harcèlement sexuel et tout comportement sexiste, notamment lorsqu’ils se déroulent sur internet où l’anonymat facilite les actes antisociaux. D’autant plus que le harcèlement commis à plusieurs peut être considéré comme plus préjudiciable, au regard du nombre de participants.
Classiquement, le harcèlement moral est défini par l’article 222-33-2-2 du Code pénal français comme « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». De même, au sens de l’article 222-33 du même code, le harcèlement sexuel est « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Force est de constater que ces dispositions, aussi détaillée soient-elles, ont un champ d’application limité puisqu’elles posent chacune comme condition à la sanction pénale du harceleur la répétition de son comportement. Or, si par définition l’exigence d’une certaine fréquence de cet agissement se justifie, il arrive dans les faits que la victime soit harcelée non pas par une seule et même personne mais par un ensemble d’individus qui agissent chacun une seule fois. Et ceux-ci échappaient jusqu’alors à la sanction pénale puisque les textes en vigueur ne permettaient pas de caractériser l’infraction. C’est pourquoi les nouvelles dispositions prévoient désormais cette possibilité en France depuis la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ainsi, sont punies les individus qui imposent « à plusieurs » à une même victime des propos ou comportements à connotation sexuelle, sexiste ou dégradant ses conditions de vie « de manière concertée ou à l’instigation de l’une [de ces personnes], alors même que chacune de [celles-ci] n’a pas agi de façon répétée ». En outre, sont également punis ceux qui imposent de tels propos ou comportements « à une même victime, successivement, […], même en l’absence de concertation, [en sachant que] ces propos ou comportements caractérisent une répétition ».
Comme l’a souligné un auteur, il est « sans doute présomptueux de chercher une unité dans ces deux infractions distinctes que sont le harcèlement moral et le harcèlement sexuel ». Toutefois, « la structure de chacune de ces infractions présente des similitudes qui permettent de mieux cerner les caractéristiques de ces délits et donc de mieux comprendre quels sont les comportements pénalement sanctionnés ». Par ailleurs, les nouvelles dispositions introduisent la notion de pluralité dans les deux types de harcèlement qui nous paraissent ainsi intéressants d’étudier conjointement.
Certains évoquent l’idée de « harcèlement en meute » pour décrire ceux qui opèrent ensemble et attaquent une même cible. En effet, ces conduites collectives tournés vers un même but ne sont pas sans rappeler un phénomène social complexe. Elles semblent en particulier pouvoir être rapportées à une forme de criminalité s’exerçant par agir mimétique, que nous nous sommes engagé à étudier ailleurs dans le champ pénal.
Pour rappel, nous devons à deux professeurs, MM. Christoph Wulf et Gunter Gebauer, une description précise de la mimésis sociale, expliquée comme une faculté particulière de se représenter le monde, qui s’exprime corporellement dans ce que l’on peut nommer « l’agir mimétique ». Intervenant dans les interactions sociales, cet agir est à la base de la relation entre le moi et les autres. La mimésis sociale se manifeste dans le domaine de l’éducation, de la construction de l’identité et permet l’intégration et la cohésion des groupes sociaux, qu’ils soient criminels ou non.
Il nous semble notamment que les comportements décrits par les dispositions pénales concernant le harcèlement méritent un rapprochement certain avec la notion d’agir mimétique, le projet de loi lui-même évoquant un comportement « par mimétisme ». Le harcèlement, qui plus est à plusieurs, est affaire de droit mais également d’autres sciences sociales étant donné qu’il est, comme le précise un auteur, le « produit de rapports sociaux bien déterminés ». Ce comportement trouve à s’exprimer dans différents lieux privilégiés comme l’école, le travail ou encore les réseaux sociaux. Il paraît donc nécessaire que le droit s’adapte à la réalité sociale sans pour autant intervenir inutilement, au risque de renforcer l’inflation législative.
Nous nous attacherons ici à étudier la portée et l’étendue des nouveaux délits de harcèlement sexuel et moral dans le Code pénal français, d’un point de vue juridique enrichi d’une approche interdisciplinaire, au regard notamment de la notion d’agir mimétique.
Incontestablement, l’adoption de nouvelles dispositions pénales en Droit français permet un élargissement de la définition du harcèlement. Au côté des délits de harcèlement classiquement sanctionnés s’inscrivent deux délits autonomes de harcèlement sexuel ou moral pour adapter le droit pénal à une forme de criminalité persistante, qui se produit notamment sur les réseaux de communication électronique.
Désormais, la répétition de l’acte par la même personne n’est plus nécessaire à la constitution de l’infraction ; celle-ci admet comme condition suffisante la pluralité des agents ou la succession des propos ou comportements harcelants. L’étendue du délit se comprend d’une part au regard du comportement réprimé – un « agir » à plusieurs renvoyant, ou bien à un harcèlement commis instantanément en groupe, ou bien à la succession d’actes individuels (I), et d’autre part au regard de l’intentionnalité puisqu’est puni le harcèlement avec ou sans concertation (II). L’étude des caractéristiques des infractions visées par les nouvelles dispositions nous permet de mettre en évidence que le législateur prévoit désormais de sanctionner le harcèlement issu d’un agir mimétique, selon deux modalités qu’il convient de définir.
I – La sanction du harcèlement commis à plusieurs : la sanction d’un comportement collectif tourné vers un résultat commun
Les articles 222-33 et 222-33-2-2 du Code pénal français prévoient de punir toutes les personnes qui participent au harcèlement moral ou sexuel d’une même victime. Il s’agit là d’une nouvelle sanction qui vise une « pluralité » délictuelle (A) commettant des actes collectifs de harcèlement sexuel ou moral (B).
A. Plusieurs contre un seul
Lorsqu’un seul individu impose à une autre personne des propos ou comportements dégradants de manière répétée, le harcèlement au sens classique s’applique, en tant qu’infraction d’habitude, les actes du harceleur devant être insistants. Mais le résultat du harcèlement pouvant être causé par la somme d’actions uniques les textes prévoient désormais des délits incriminants chacun des individus composant la pluralité délictuelle. Voyons les modalités d’application des textes du côté des individus qui harcèlent (1) ainsi que du côté de la personne harcelée (2).
1. Du côté des harceleurs : formation d’une pluralité délictuelle
Les nouvelles incriminations sanctionnent non pas une seule personne mais plusieurs individus. Est ainsi réprimé un comportement collectif et la nouvelle condition à la caractérisation de l’infraction est la pluralité d’agents. Qu’il soit moral ou sexuel, le harcèlement est commis en groupe et entre dans la catégorie des infractions collectives, à différencier toutefois des infractions relevant de la criminalité et délinquance organisées. En effet, aucune condition tenant à l’organisation entre les harceleurs n’est imposée par les textes. Il suffit que plusieurs aient agi, peu importe l’existence d’une hiérarchie entre eux.
Le législateur français n’a pas déterminé le nombre de participants au harcèlement. Il faut considérer qu’au moins deux agents doivent avoir accompli les actes délictueux. Ainsi les infractions de harcèlement à plusieurs se rapprochent-elles d’autres infractions collectives, telle que l’association de malfaiteurs prévue par l’article 450-1 du Code pénal français.
2. Du côté de la personne harcelée : un état psychologique perturbé
La victime harcelée est prise pour cible par plusieurs individus ; elle devient leur souffre-douleur. Si dans le cadre professionnel, l’article L. 1153-1 du Code du travail français impose que la victime soit salariée, les articles 222-33 et 222-33-3-3 du Code pénal n’imposent aucune distinction tenant au statut de la victime. Cette dernière n’a pas à se trouver dans un lien de subordination. Par ailleurs, les nouveaux textes ne précisent pas le genre de la personne harcelée, même si en pratique, il s’avère que les femmes sont davantage victimes de harcèlement. Enfin, l’état de vulnérabilité importe peu pour que la sanction soit applicable. Il peut s’agir d’un majeur ou d’un mineur, la minorité de la victime constituant une circonstance aggravante. On pense également au harcèlement moral entre élèves et à l’extension de la circonstance aggravante pour mieux réprimer le cyber-harcèlement scolaire.
La victime doit avoir effectivement subi un harcèlement. Les textes sont clairs sur ce point, les propos ou comportements des harceleurs doivent lui être « imposés ». Ce qui signifie que la personne harcelée ne doit pas avoir donné son consentement (notamment en matière sexuelle) mais ressentir un état de harcèlement. Le statut de victime est l’altération de sa santé physique ou mentale, pour un harcèlement moral ; et pour un harcèlement sexuel, les propos ou comportements doivent avoir porté atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ou encore avoir créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Le juge pénal doit donc constater un trouble certain subi par la victime du fait des agissements des harceleurs pour caractériser une situation de harcèlement. Ces infractions sont en ce sens matérielles.
Pour un auteur, le harcèlement moral est « une violence avérée, même si elle est occulte, qui tend à s’attaquer à l’identité de l’autre, et à lui retirer toute individualité », ces propos nous semblant aussi convenir pour le harcèlement sexuel. Ce qui explique qu’en pratique les préjudices subis par la victime soient parfois délicats à apprécier, alors même que le harcèlement a des conséquences d’ordre personnel et professionnel, s’il se produit au travail ou encore à l’école.
Les comportements des harceleurs pouvant être de nature diverse, il convient de les caractériser avant d’en apprécier le caractère collectif.
B. Des actes collectifs de harcèlement sexuel ou moral
Les textes récemment adoptés sanctionnent sans grande innovation deux types d’actes différents (1) mais dont l’accomplissement par une pluralité d’auteurs constitue deux nouvelles formes de harcèlement, réalisées collectivement (2).
1. Deux types d’actes de harcèlement sexuel ou moral
Les actes de harcèlement ont fait l’objet de différentes recherches. On parle notamment en pays anglo-saxons et nordiques de « bullying » ou de « mobbing ». Ils ont été étudiés dans différents milieux : à l’école, au travail, sur internet, dans le couple, etc. Des psychologues et psychiatres, dont Mme Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage à succès Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, ont par exemple tenté à plusieurs reprises de dresser des listes des différents agissements qui peuvent être qualifiés de harcèlement.
Mais la loi pénale ne peut être ni trop large, ni trop détaillée ; elle doit prévoir un certain degré de généralité, sous réserve de respecter le principe de légalité criminelle, en laissant au juge répressif la possibilité de l’interpréter strictement. Dans cette mesure, les différents articles en matière de harcèlement décrivent deux types d’actes : les propos et les comportements.
Les propos sont assez faciles à identifier et à qualifier. Ils peuvent être exprimés oralement ou encore par lettres, mails, messages sur les réseaux sociaux, etc. En revanche, il peut être plus délicat de caractériser un comportement constituant l’élément matériel d’un harcèlement, moral ou sexuel. Le terme est large et peut correspondre à des actes actifs (comme accomplir des gestes insultants et dégradants envers une personne), ou des actes passifs (tel que le fait de rester indifférent à la souffrance de la victime ou ne pas mettre à disposition tous les outils nécessaires à une tâche particulière s’il s’agit d’un harcèlement au travail voire scolaire). La notion de comportement peut ainsi englober plusieurs réalités mais ne doit en aucun cas prêter à confusion. Par exemple, le sifflement accompagné de propos déplacés peut être un agissement ayant une connotation sexuelle ou sexiste, toutefois il ne doit pas être confondu avec un flirt maladroit.
Certains auteurs qualifient la notion de harcèlement moral de « fourre-tout », des comportements harcelants pouvant « côtoyer » des actes indécents mais non répréhensibles pénalement. La vigilance s’impose d’autant plus lorsque les comportements sont commis à plusieurs, le nombre pouvant donner une impression d’insistance qu’on sera tenté de qualifier de harcèlement. Or la pluralité n’est pas significative pour apprécier les actes et c’est bien une question de faits que les juges devront déterminer.
Le harcèlement se définit classiquement par une condition de répétition d’actes ou systématisation. Dans les nouveaux textes, la condition de répétition n’a pas disparu, elle est simplement envisagée autrement. Elle n’est plus observée du point de vue du harceleur mais plutôt de celui de la personne harcelée. En effet, que les agissements aient été accomplis par un seul ou plusieurs, la victime subit différents actes qui constituent ensemble une répétition qui la met en état de harcèlement. Ce raisonnement n’est pas étonnant dans la mesure où déjà, lorsque l’on recherchait une répétition commise par un seul individu, cela ne signifiait pas que ce dernier devait avoir accompli deux actes identiques mais seulement deux comportements insistants. Il en est de même lorsque les deux actes sont imputables à deux personnes différentes. Il importe peu l’identité des actes mais leur persistance pour caractériser l’infraction.
2. Deux catégories d’harcèlements collectifs
A l’origine, le projet de loi répondait essentiellement à la volonté de sanctionner les « raids numériques », en réaction à des affaires qui n’ont pas trouvé sanction sous l’empire du droit positif. Mais « le texte proposé a des conséquences plus larges puisqu’il permet de réprimer toute forme de harcèlement réalisée de façon concertée par des personnes ne commettant chacune qu’un seul acte […]. Il n’y a en effet pas de raison de laisser impunis de tels faits, même si, en pratique, la probabilité qu’ils soient commis est plus faible que celle du harcèlement en ligne ». C’est pourquoi le législateur français a retenu un large champ d’application des dispositions pénales afin de sanctionner tous les harceleurs, peu importe le support du harcèlement, et peu importe par exemple qu’il ait été meneur ou non. Les textes prévoient cependant de distinguer deux formes de harcèlement collectif.
En premier lieu, la loi pénale sanctionne spécifiquement l’acte unique de harcèlement commis par plusieurs agents. Ce qui correspond à un cas de coaction matérielle classique puisqu’il s’agit de punir ceux qui agissent ensemble et participent à une infraction unique.
Certes, les dispositions semblent réprimer spécifiquement, au côté d’une coaction, le harcèlement par complicité puisqu’il y est inscrit que le harcèlement par plusieurs personnes peut avoir été mis en œuvre « à l’instigation de l’une d’elles ». Selon l’article 121-7 du Code pénal français, est complice celui qui « par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ». Autrement dit, celui qui a commandité l’infraction se rend complice par instigation de l’acte infractionnel, en ayant accompli des actes non pas principaux mais accessoires à la consommation de l’infraction. Dans cette mesure, le délit de harcèlement paraît pouvoir viser le meneur-instigateur du groupe en tant que simple complice. Toutefois, selon la formule des textes, l’instigateur doit non seulement avoir provoqué le harcèlement mais également avoir harcelé la victime. Même s’il existait un meneur avant la commission de l’infraction, celui-ci est devenu, lors de l’action, acteur au même titre que les autres, en accomplissant les actes principaux de harcèlement.
En deuxième lieu, sont sanctionnés ceux qui agissent successivement à d’autres, caractérisant ainsi une répétition, même en l’absence de concertation entre les agents. Autrement dit, est puni l’auteur qui inscrit son acte à la suite d’un autre, sans s’être mis d’accord avec ce dernier, sachant qu’il contribuera au harcèlement. Ainsi les dispositions pénales françaises prévoient-elles de réprimer le harcèlement que l’on pourrait nommer par actes « successifs » ou encore « suivis », sans entente.
A la différence du harcèlement collectif avec entente, le harcèlement par actes successifs est sanctionné pour des agissements qui ne renvoient pas à un cas de coaction dans la mesure où la concertation n’est pas une condition à l’infraction. Ceux qui agissent postérieurement à d’autres n’en sont pas pour autant considérés comme simples complices mais bien comme auteurs de l’infraction. Chacun d’entre eux se joint à l’action d’un autre pour former une répétition tournée vers un même résultat : harceler la victime.
Ainsi par ces nouvelles dispositions, le droit pénal français permet-il désormais de sanctionner tous ceux qui inscrivent leurs actes, uniques, dans une même démarche collective de harcèlement et ce, qu’il y ait concertation ou non entre les différents participants. Et en reconnaissant que c’est la conjugaison des actes individuels qui crée la condition de persistance et de répétition dont est victime la personne harcelée, le droit répressif vise une forme de criminalité particulière, que nous avons déjà décrite dans d’autres domaines. En effet, tous les auteurs d’un harcèlement collectif participent à un agir commun que l’on peut qualifier de mimétique et dont on peut définir les critères de mise en œuvre.
II- La sanction d’un harcèlement avec ou sans concertation : la sanction d’un agir mimétique à plusieurs
Le projet de loi mentionnait que « le fait que plusieurs personnes insultent “par mimétisme” comme cela se passe régulièrement sur la toile une autre personne ne pourra caractériser une infraction de harcèlement car cette action, certes unique, ne sera pas concertée ». Mais le législateur français a finalement retenu de sanctionner tous les actes entrainant un état de harcèlement chez une victime, qu’ils aient été commis avec ou sans concertation. Cette position nous semble justifiée dans la mesure où le harcèlement collectif, qu’il soit concerté (A) ou non (B), relève toujours d’un processus comportemental mimétique. Dans les deux cas, il est accompli à plusieurs et témoigne d’une certaine influence entre les différents participants à l’infraction. Il s’agit cependant de deux formes distinctes d’agir mimétique.
A. Le harcèlement avec concertation : un agir mimétique plurilatéral
Le harcèlement avec concertation signifie qu’il existe une entente entre les différents participants à l’infraction. Ainsi, au-delà de démontrer la faute pénale du harceleur, l’existence d’une concertation devra être caractérisée pour sanctionner le harcèlement commis à plusieurs au regard des nouvelles dispositions pénales (1). Cette entente traduisant une volonté commune d’agir ensemble dans une démarche collective renvoie alors à un agir mimétique plurilatéral (2).
1. La concertation dans le harcèlement commis à plusieurs : une volonté commune d’agir ensemble dans une démarche collective
Les articles en matière de harcèlement ne précisent pas l’élément moral de l’infraction. On peut considérer qu’en matière de harcèlement sexuel, l’infraction est toujours intentionnelle, l’intention pouvant être déduite du comportement du harceleur comme l’a récemment précisé la Cour de cassation. En matière de harcèlement moral, l’élément psychologique est soit intentionnel, si le comportement a clairement pour objectif de porter atteinte à la victime, soit relève davantage d’une imprudence ou mise en danger si l’atteinte est un effet du comportement incriminé sans que l’agent l’ait spécifiquement recherchée. Mais les juges répressifs ne s’attachent pas à cette distinction, peu important le fait que l’agent ait voulu ou non le dommage subi par la victime du fait du harcèlement.
En revanche, dans le cadre des nouvelles dispositions, une autre donnée devra être examinée : celle de la concertation d’où résulte une entente entre les participants.
La notion d’entente renvoie à un accord entre au moins deux personnes. Plus précisément, l’entente « se distingue de la simple “conscience et volonté de coopérer avec autrui” ; elle suppose plus ; il faut une véritable résolution d’agir arrêtée ensemble ». Ainsi constitue-t-elle une donnée essentielle, caractérisant la coaction de tous les harceleurs. Les coauteurs doivent témoigner d’une volonté de s’associer et pour Garraud, « il faut aussi et surtout qu’ils aient agi de concert, d’un commun accord, qu’ils aient coopéré à la perpétration du délit. Sans cela, le seul lien qui puisse être établi entre les délits distincts, qui ont été commis, est celui de connexité et non celui de la coopération ».
S’agissant de constater une coaction, les juges pénaux devront donc vérifier que les harceleurs ont opéré « ensemble et de concert » ou encore ont « participé à une action concertée » en vue de l’infraction. Ils devront caractériser une communauté d’esprit entre les différents harceleurs, renvoyant à la volonté commune d’inscrire les actes de harcèlement dans une démarche collective.
La notion de concertation ne doit pas être confondue avec la préméditation, circonstance aggravante prévue par l’article 132-72 du Code pénal français. L’entente entre les harceleurs, si elle peut être établie avant la commission de l’infraction, peut aussi n’être que concomitante à l’accomplissement de l’acte délictueux. Tel est le cas par exemple de celui qui se joint à d’autres pendant qu’ils diffusent sur les réseaux sociaux des propos dégradants envers une victime. Internet offre en effet de grandes possibilités aux individus de communiquer instantanément et d’agir ensemble en des lieux différents mais en des moments identiques.
Enfin, la concertation sur le harcèlement peut être rapportée par tout moyen de preuve comme le relevé des communications antérieures à la commission de l’infraction suite à l’audition et aux réquisitions effectuées auprès des opérateurs et fournisseurs d’internet.
Cet accord de volonté entre les différents harceleurs pour agir ensemble « comme un seul » et viser une même cible nous permet de considérer que le droit sanctionne ici une forme de criminalité par agir mimétique. Celui-ci étant issu de plusieurs volontés en relation au moment de l’acte de harcèlement, nous pouvons le qualifier de processus mimétique plurilatéral.
2. Le harcèlement entre harceleurs concertés : un agir mimétique plurilatéral
Avant de démontrer que le harcèlement avec concertation correspond à un agir mimétique plurilatéral, il faut d’abord définir la notion même d’agir mimétique.
Nous avons établi dans une longue étude que l’agir mimétique peut être défini comme le versant comportemental d’un phénomène social complexe, la mimésis sociale, qui intervient dans les groupes (d’appartenance ou de référence), quelle que soit leur finalité, non-infractionnelles ou infractionnelles. En effet, les relations interindividuelles dans un groupe engendrent toujours une certaine influence, plus ou moins voulue, entre les protagonistes, ce qui a pour conséquence de guider leurs actions les uns par rapport aux autres. La mimésis sociale entre les membres du groupe peut s’exprimer par des idées ou valeurs communes mais aussi par des comportements similaires. Elle a donc à voir avec l’imitation mais est plus qu’une simple reproduction. Elle concerne toujours plusieurs individus qui se sont entendus sur leur action et qui agissent avec conscience et volonté dans une même démarche collective. On peut parler d’un « agir mimétique plurilatéral », pour exprimer cette communauté des volontés et cette complémentarité des actes tournés vers un même but, témoignant d’une représentation commune de la « scène » mimétique, c’est-à-dire que tous ont la même conscience de ce à quoi ils participent.
Un auteur a bien mis en évidence, dans d’autres domaines que le droit, les caractéristiques d’un agir mimétique : une représentation commune de la scène mimétique, c’est-à-dire de l’activité du groupe ; un agissement intentionnel et partagé en référence à l’autre (ou aux autres) de façon complémentaire et équivalente ; ainsi qu’une coopération mutuelle dans l’action collective.
Si nous comparons ces conditions à celles posées par les textes d’incrimination, le harcèlement avec concertation semble bien renvoyer à un agir mimétique plurilatéral, de nature criminelle. En effet, la participation au harcèlement est ici conditionnée à l’existence d’une concertation, et donc d’une entente entre les différents harceleurs. Ils connaissent le comportement de harcèlement et visent la même cible. Ce qui révèlent qu’ils agissent bien selon une même représentation de la scène dégradante selon le schéma « tous contre un seul ». Ensuite, est sanctionné une coaction matérielle, c’est-à-dire que le droit reconnaît la complémentarité et l’équivalence des actes de chacun dans le résultat infractionnel collectif. Il peut, certes, exister un meneur et donc une certaine hiérarchie entre les différents harceleurs, toutefois, dans l’action groupale, celle-ci disparaît lors de la commission de l’infraction. On parle enfin, lors d’une coaction, d’interchangeabilité des rôles de chacun.
Ainsi, lors d’un harcèlement avec concertation, les actes uniques de chacun se conjuguent pour composer le délit. Par des actes relatifs au même modèle de comportement et commis ensemble, ils concourent au même résultat qu’aurait atteint un seul harceleur en répétant ses propres actes de harcèlement. Or c’est également à une répétition qu’aboutit un harcèlement par actes suivis, même en l’absence de concertation entre les harceleurs. Car si on ne peut parler d’un phénomène plurilatéral lorsque les agents n’ont pas communiqué entre eux, il n’en reste pas moins que le harceleur qui agit de sa simple volonté pour se joindre aux autres témoigne d’un agir mimétique car il accomplit des actes seul mais en référence aux autres.
B. Le harcèlement sans concertation : un agir mimétique successif et unilatéral
Selon les nouvelles dispositions pénales, le harcèlement est également caractérisé lorsque l’agent savait que son acte créait une répétition du point de vue de la victime, sans s’être concerté avec le ou les autres harceleurs. Un nouvel élément moral des infractions de harcèlement moral et sexuel devra donc ici être rapporté : la volonté d’inscrire l’acte dans celui d’un ou de plusieurs individus, sans que ces derniers ne le sachent, afin de caractériser une répétition (1). Dans la mesure où il n’existe pas de volonté commune de s’entendre, un tel harcèlement correspond à un agir mimétique unilatéral (2).
1. L’absence de concertation dans le harcèlement commis à plusieurs : une volonté d’agir seul mais dans une démarche collective
Le texte d’incrimination en matière de harcèlement par actes suivis prévoit expressément l’élément moral de l’infraction puisqu’il y est inscrit que les personnes sont punies lorsqu’elles « savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». Ainsi l’individu doit-il avoir conscience que la somme des actes, dont le sien, constitue un harcèlement à l’encontre d’un même souffre-douleur. Il s’agit d’une infraction intentionnelle et l’individu qui a agi par négligence ou inattention ne devrait pas être puni pénalement. La preuve que l’agent savait que son acte contribuerait à entraîner un état de harcèlement pourra être notamment rapportée au vu des messages précédents adressés à la victime, facilement accessibles à la personne qui surenchérit. Il n’est plus nécessaire de prouver l’entente, le caractère successif des actes suffisant à démontrer la connaissance de la répétition à l’encontre de la victime et la volonté d’y participer.
Compte tenu de ce raisonnement, on peut toutefois se demander sur quelle base légale l’individu ayant agi en premier dans la chaîne de harcèlement par actes uniques et successifs peut être sanctionné pénalement. Si cette première personne peut démontrer qu’en accomplissant un seul acte, elle n’a pas eu l’intention d’être suivie par d’autres, la provocation à la répétition sera difficilement constituée. En revanche, si le premier dans la chaîne du harcèlement exprime clairement sa volonté d’être suivi, le caractère intentionnel et la connaissance de l’effet d’une répétition sur la victime sont avérés. Certains pourraient objecter que les suiveurs agissent en accord à la provocation, établissant une forme d’entente a minima entre les harceleurs, prévue par les textes précédents, mais on ne peut pas parler de concertation.
Le suiveur agit selon sa volonté personnelle. Son acte exprime l’intention de faire « seul mais comme les autres », en prenant leurs comportements pour modèle, plutôt que « avec et comme les autres », en référence à un modèle commun de comportement. En cela, il témoigne de l’accomplissement d’un agir mimétique unilatéral, dont les caractéristiques diffèrent quelque peu du précédent.
2. Le harcèlement entre harceleurs non concertés : une succession d’agirs mimétiques unilatéraux
Les nouvelles dispositions pénales françaises permettent désormais de sanctionner le harcèlement mis en œuvre sans relation interindividuelle. Mais l’absence d’entente ne signifie pas qu’il n’existe aucune influence entre les protagonistes. Plus précisément, il s’agit de la situation où un individu agit comme un autre, en l’imitant, sans pour autant avoir créé une « relation » avec cet autre. Le premier choisit le second comme modèle à suivre – une référence comportementale pour un moment donné – et reproduit son action, sans que celui-ci ne le sache. N’imposant aucun accord de volonté, on parle ici d’« agir mimétique unilatéral ».
Le harcèlement commis à plusieurs par actes successifs semble bien correspondre à cet agir mimétique unilatéral. En effet, est puni celui qui reproduit ou copie l’acte dégradant d’un individu pour créer une répétition constituant un harcèlement pour la victime. A la différence du harcèlement avec concertation, le harcèlement sans concertation s’envisage à l’égard non pas de tous les harceleurs mais de l’un d’entre eux : celui qui aura reproduit ou copié l’agissement d’un ou de plusieurs harceleurs précédents. La personne qui surenchérit inscrit « d’elle-même » son acte dans l’action d’un autre. Elle agit en miroir, c’est-à-dire pour son propre compte et en référence à quelqu’un d’autre, sans que ce dernier ait la volonté de former un groupe. Elle se sert de l’action de l’autre pour créer une répétition, sachant que cette répétition créera chez la victime un état de harcèlement.
On comprendra que, pour la victime, voire toute personne extérieure, comme le juge, il existe une apparence ou illusion de groupe. Alors que dans le harcèlement avec concertation, le groupe préexiste ou est concomitant à l’infraction, dans le harcèlement sans concertation, « un groupe » apparaît par l’accumulation des actes de ceux qui surenchérissent aux propos ou comportements dégradants. Et lorsque les protagonistes sont très nombreux, on comprend que l’on puisse invoquer la notion de « harcèlement en meute » tant est prégnante l’impression d’acharnement à l’attaque de la victime, qui devient la proie de ses harceleurs.
Bibliographie
Articles scientifiques
Articles juridiques :
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Articles non-juridiques :
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Kubiszewski V., Fontaine R., Huré K., Rusch E., « Le cyber-bullying à l’adolescence : problèmes psycho-sociaux associés et spécificités par rapport au bullying scolaire », in L’Encéphale, Volume 39, Issue 2, Avril 2013, p. 77.
Le Goff J.-P., « Que veut dire le harcèlement moral ? I. Genèse d’un syndrome », in Le Débat, 2003/1, n° 123, p. 141.
Zapf D., « Organisational, work group related and personal causes of mobbing/bullying at work », in International Journal of Manpower, February 1999, p. 57.
Ouvrages
Ouvrages juridiques :
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Baron E., La coaction en matière pénale, Thèse 2012, Bordeaux.
Garraud R., Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. 3, 3ème éd., Paris, Sirey, 1916.
Mayaud Y., Droit pénal général, Pairs, PUF, 3ème éd., 2010.
Paradiso S., Les infractions de harcèlement, Paris, L’Harmattan, 2013.
Sifakis Y., Le concept d’imitation dans le champ pénal, Thèse 2017, Bordeaux.
Ouvrages non-juridiques :
Aristote, Poétique et Rhétorique, trad. C.-E. Ruelle, Paris, Garnier Frères, 1922.
Bouchet J., Chanton O., Krell V., Maze C., Ric F., Richard G., Psychologie sociale, l’individu et le groupe, Paris, Breal, t. 1, 1996.
Einarsen S., Hoel H., Zapf D., Cooper C., Bullying and Emotional Abuse in the Workplace: International Perspectives in Research and Practice, London, New-York, Taylor & Francis, 2003.
Gebauer G., Wulf C., Mimesis : culture, art, société, trad. N. Heyblom, Paris, Les Editions du Cerf, 2005.
Hirigoyen M.-F., Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Paris, Syros, 1998.
Hirigoyen M.-F., Malaise dans le travail. Harcèlement moral : démêler le vrai du faux, Paris, Syros, 2001.
Kelley H. H., Deux fonctions des groupes de référence, Psychologie sociale, Textes fondamentaux, Paris, Dunod, 1952.
Leymann H., Mobbing, La persécution au travail, trad. E. Jacquemot, Paris, Seuil, 1996.
Olweus D., Aggression in the Schools: Bullies and Whipping Boys, Washington, London, Halsted Press, 1978.
Olweus D., Violences entre élèves, harcèlement et brutalités : les faits, les solutions, Paris, ESF, 1999.
Platon, La République, trad. nouvelle R. Baccou, Paris, Garnier Frères, 1950.
Shaw M. E., Group Dynamics, The Psychology of Small Group Behavior, New-York, McGraw-Hill, 1971.
Wulf C., Penser les pratiques sociales comme rituels : ethnographie et genèse de communautés, trad. N. Heyblom, Paris, L’Harmattan, 2004.
Wulf C., L’anthropologie de l’homme mondialisé : histoire et concepts, Paris, CNRS éditions, 2013.
Projets et Lois
Projet de loi relatif au harcèlement sexuel, Etude d’impact, juin 2012.
Loi n° 2014-873 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014, JORF n° 0179 du 5 août 2014, p. 12949, texte n° 4.
Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes du 21 mars 2018.
Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, JORF n° 0179 du 5 août 2018, texte n° 7.
Circulaire du 3 septembre 2018 relative à la présentation de la loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, BOMJ n°2018-09 du 28 septembre 2018.